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« Le terme de carrière ne veut plus dire grand-chose, aujourd’hui. » Samuel Durand

Auteur des documentaires dédiés aux évolutions du monde du travail Work in Progress et Why do we even work? et de la BD Et si on travaillait autrement ?, Samuel Durand est aussi consultant sur le Future of Work. Pour notre magazine Forward, il nous livre sa vision de l’avenir du travail, marqué par la collaboration grandissante entre entreprises et indépendants.

Bonjour Samuel, pouvez-vous vous présenter ?

J’explore depuis 4 ans les transformations du travail. J’ai commencé par une learning expedition de 6 mois sur la relation entre les indépendants et les grands groupes au cours de laquelle j’ai rencontré une centaine de personnes dans le monde. Aujourd’hui, je réalise des documentaires pour raconter ces transformations de façon plus ludique. Mon dernier en date, Time to Work, porte sur notre rapport au temps de travail. J’écris aussi la newsletter le « billet du futur » deux fois par mois.

On parle de plus en plus de la Talent Economy. Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est et comment vous voyez son évolution dans le futur ?

La Talent Economy, par opposition à la Gig Economy, regroupe des indépendants qui ont fait le choix de l’indépendance, soit pour gagner mieux leur vie soit pour bénéficier de plus de flexibilité. Ils ne se tournent que vers des missions qui leur plaisent parce qu’ils ont pris conscience de leur valeur sur le marché. De leur côté, les entreprises font appel à ces experts quand elles n’ont pas les compétences en interne ou quand elles en ont besoin seulement pour une durée courte.

C’est une population qui a énormément grandi dans les années 2010 et qui continue de grandir mais à un rythme un peu plus faible. Elle représente aujourd’hui environ 1 million de personnes en France. A ce sujet, j’ai le sentiment que l’on se lance moins facilement dans l’indépendance en ce moment parce qu’on se rend compte que le salariat offre de plus en plus de flexibilité.

Selon vous, en quoi la Talent Economy changera-t-elle la façon dont les travailleurs indépendants gèrent leur carrière à l’avenir ?

Le terme de carrière ne veut plus dire grand-chose, aujourd’hui. On peut faire quelques années d’indépendance, puis un peu de salariat, et un mélange des deux, voire même les deux en même temps… Tout est possible ! La Talent Economy donne simplement une option de plus dans les possibilités de « carrière ».

La Talent Economy est souvent liée au Total Workforce Management, un fonctionnement plus ouvert des entreprises. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur la façon dont les entreprises peuvent adapter leur organisation ?

Le Total Workforce Management, c’est l’idée que les entreprises doivent s’habituer à composer avec une main-d’oeuvre de plus en plus mixte : des employés dont le turnover s’accélère, des freelances, des travailleurs temporaires… Dans ce cadre, leur rôle est d’optimiser la gestion de ces ressources pour les différents projets de l’entreprise. Cela revient à fournir des ressources aux managers des différents départements pour qu’ils puissent facilement jongler avec une main-d’oeuvre protéiforme et volatile, en fonction de leurs besoins.

Concrètement, il faut mettre à la même table les trois parties concernées par l’arrivée des indépendants : Achats, RH et Chefs de projets. Ensemble, ils doivent recréer des processus de communication, de paiement, de gestion de projet pour mieux intégrer les indépendants dans le fonctionnement de l’entreprise, et ne plus faire comme si tout le monde était salarié.

Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui souhaitent adapter la façon dont elles travaillent avec les freelances ?

Le meilleur conseil est d’arrêter dès que possible la politique de l’autruche et enfin se rendre compte que les indépendants sont déjà présents dans l’entreprise. Plutôt que de faire comme s’ils n’existaient pas, il vaut mieux apprendre à travailler efficacement avec eux. L’idéal serait de commencer à suivre quelques collaborations pour se rendre compte de la façon dont ils vivent leurs missions et bousculent certains process.

Une fois que l’on a récolté de l’info sur le sujet, on peut ainsi réfléchir aux transformations nécessaires qui peuvent être de l’ordre de l’investissement dans un Vendor Management System afin de mieux gérer ces talents. En parallèle, on peut aussi former les chefs de projets à la collaboration avec des équipes hybrides en leur montrant des études de cas de projets menés avec des indépendants, ou en leur fournissant du contenu sur le sujet.

Une dernière lecture à nous conseiller pour aller plus loin sur la Talent Economy ?

J’ai écrit un rapport d’étude complet de 250 pages exclusivement sur ce sujet, issu de rencontres avec des entreprises qui se sont transformées. Un excellent exemple est Microsoft, très avancé sur le sujet, qui a documenté sa transformation dès 2018. En France, j’ai l’impression que L’Oréal est aujourd’hui bien positionnée sur ces réflexions et transformations également.