Développement durable

« Faire advenir un numérique plus soutenable et responsable », Entretien avec Mellie La Roque de SNCF

Entre prise de conscience de l’impact de la transformation digitale des entreprises et contraintes de conformité légale, le numérique responsable émerge comme un passage nécessaire pour les organisations. C’est dans cette dynamique que Mellie Laroque, Lead Designer chez SNCF Connect & Tech et présidente de l’association Designer Éthique, œuvre pour un numérique plus soutenable. Comment faire du numérique responsable un levier d’amélioration et non une contrainte ? Comment SNCF Connect applique-t-elle ces principes au sein de ses équipes ? Autant de questions auxquelles Mellie a répondu dans cette interview avec LittleBig Connection.

Quelles expériences t’ont conduite à te spécialiser dans le design et le numérique responsable ?

« Très tôt, je me suis orientée vers le design et ses enjeux de responsabilité. Pourquoi ? Parce que j’ai toujours trouvé intéressant de pouvoir allier technique et créativité dans ce métier. Aujourd’hui, je travaille dans le secteur du numérique, mais cette double approche me semble particulièrement fructueuse pour faire évoluer les modèles existants. Le numérique responsable, en particulier, est un bon cadre pour redéfinir notre façon de concevoir les produits digitaux.

Cette question de la responsabilité du designer, et notamment de l’impact social et environnemental que l’on peut générer à travers la conception, je l’ai découverte et véritablement conscientisée au cours de mes études. Lors de mon master à l’École de Design de Nantes Atlantique, j’ai réalisé un mémoire de fin d’étude sur le design de l’attention. Ce concept désigne les interfaces conçues pour manipuler les utilisateurs et capter leur attention le plus longtemps possible. À l’époque, en 2016, nous étions encore aux débuts de ces questionnements, en pleine domination des GAFAM et d’une culture numérique où ces mécanismes n’étaient pas encore perçus de manière critique.

J’éprouvais une certaine inquiétude face à ces pratiques, ce qui m’a amenée à approfondir la question de l’éthique numérique. J’ai poursuivi cette réflexion tout au long de mon parcours professionnel, en débutant en agence de conseil, où je me suis intéressée plus particulièrement à l’écoconception numérique. J’ai exploré comment concevoir des services numériques ayant le moins d’impact possible, tant sur le plan environnemental que social.

Aujourd’hui, en tant que Lead Designer chez SNCF Connect & Tech, j’intègre ces notions au quotidien avec les équipes produit : designers, développeurs et product managers. Nous travaillons ensemble pour intégrer concrètement le numérique responsable dans nos pratiques, à travers des actions et des méthodologies adaptées aux enjeux actuels. C’est une prise de conscience progressive, qui s’est construite au fil des années et qui continue d’évoluer avec les nouvelles pratiques et les attentes du secteur. »

Avant de parler de ton poste de Lead Designer, tu es aussi engagée dans l’association Designer Ethique, peux-tu nous en dire plus ?

« Un moment clé dans mon parcours a été mon engagement au sein de Designer Éthique. J’ai rejoint l’association en 2018 en tant que présidente et j’ai travaillé sur son positionnement, sa mission et la définition de ses activités. Designer Éthique est une structure de recherche-action dédiée aux enjeux du numérique responsable et aux pratiques de design éthique. Aujourd’hui, nous sommes un collectif d’une quinzaine de membres ayant pour objectif de favoriser un numérique plus soutenable, responsable et inclusif, au service des individus, de la société et de l’environnement.

Cet engagement se traduit concrètement à travers trois grands axes :

  • La recherche et la production de ressources : Nous produisons des guides et outils pratiques destinés aux designers, mais aussi à d’autres métiers comme les product managers et les développeurs. Ces ressources permettent d’intégrer l’écoconception et l’accessibilité dans les pratiques actuelles. Nous publions notamment en Creative Commons pour favoriser leur diffusion. Un exemple clé est le Guide d’écoconception numérique, accessible librement en ligne.
  • Les événements et la sensibilisation : Nous organisons Ethics by Design, un événement biannuel de deux jours, qui réunit des experts de divers horizons : designers, économistes, sociologues, chercheurs. L’objectif est de croiser les regards pour imaginer des modèles durables pour le numérique. En complément, nous organisons des journées thématiques, comme la Journée Conception Numérique, où les professionnels du secteur participent à des conférences et ateliers appliqués sur l’écoconception.
  • La formation : Nous accompagnons les entreprises, agences et indépendants à travers des formations professionnelles sur l’accessibilité et l’écoconception. L’objectif est d’aider les acteurs du numérique à adopter des pratiques plus responsables dans la conception de leurs services.

Cet engagement a été, et reste encore aujourd’hui, une étape essentielle de mon parcours car il me permet de diffuser et promouvoir les pratiques du numérique responsable à grande échelle. »

En quoi consiste le numérique responsable ? Est-ce différent du design responsable ?

« Le numérique responsable peut être défini comme une démarche d’amélioration continue visant à réduire l’impact environnemental et social des technologies. Il repose sur quatre piliers fondamentaux :

  • L’accessibilité : garantir que les services numériques soient utilisables par tous, indépendamment des capacités physiques ou cognitives des utilisateurs.
  • La sobriété : minimiser l’empreinte environnementale des services numériques en réduisant leur consommation d’énergie et de ressources.
  • La confidentialité : assurer la protection des données et éviter toute exploitation abusive des informations personnelles.
  • Le respect des libertés : concevoir des services numériques éthiques et non intrusifs, sans manipulation des utilisateurs.

Dans cette approche se trouve le design responsable. La responsabilité des designers est de traduire ces principes—accessibilité, sobriété, confidentialité et respect des libertés—dans leurs pratiques de conception.

Un autre point important à souligner est que le numérique responsable s’appuie sur des référentiels concrets, soutenus par des acteurs publics tels que l’ARCEP, , l’ADEME et la DINUM. Ces organismes ont développé des cadres réglementaires et des bonnes pratiques pour guider les entreprises et les institutions.

Parmi ces référentiels, certains existent depuis plusieurs années, comme le RGAA (Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité) ou le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données). D’autres sont plus récents, comme le RGESN (Référentiel Général d’Écoconception des Services Numériques), publié en 2024 par l’ARCEP et l’ARCOM, qui remet au centre de l’attention les enjeux d’écoconception.

On voit bien ici le numérique responsable n’est plus seulement qu’un engagement moral ou une initiative portée par une communauté engagée, mais bien un enjeu réglementaire et stratégique à long terme. »

Au quotidien, comment tu intègres le numérique responsable au sein de la SNCF ?

« Pour intégrer le numérique responsable dans un projet d’envergure comme SNCF Connect, mon rôle, en tant que Lead Designer, est précisément d’implémenter une démarche numérique responsable sur l’ensemble du produit, que ce soit l’application mobile ou le site web.

Pour cela, nous avons mis en place un programme structuré qui repose sur quatre grandes actions :

  • Définir des engagements clairs en interne: nous avons élaboré une charte d’engagement afin de définir précisément ce que nous entendons par sobriété numérique, accessibilité et respect des libertés. Elle sert de référence commune à toutes les équipes produit
  • Former les équipes à l’écoconception et à l’accessibilité: nous avons mis en place des sessions de formation pour équipes produit. Ces formations sont dispensées par Designer Éthique.
  • Mesurer et analyser l’impact de nos services: afin de prendre des décisions éclairées, nous avons mis en place des audits réguliers. Par exemple des audits RGAA (accessibilité), RGESN (performance environnementale), ou l’utilisation de Greenspector pour la consommation énergétique.
  • Intégrer l’écoconception à chaque étape du cycle produit: au Design Ops d’abord, où l’on fait des audits en amont pour intégrer les bonnes pratiques dans nos workflows. Durant le delivery ensuite, où nous optimisons au maximum (poids des images, temps de parcours…). Et enfin dans le discovery, où nous explorons des scénarios futurs aligné avec les limites planétaires (utilisation des SMS, retour des cartes physiques…) »

Concrètement, comment engager ses équipes sur le numérique responsable ?

« Pour pousser l’adhésion et engager ses équipes, il y a trois grands leviers permettant d’agir à différents niveaux :

  • S’appuyer sur une communauté interne engagée: en fédérant les acteurs déjà convaincus et motivés à transformer les modèles existants. Via la formation aussi, on arrive à renforcer une vraie culture numérique responsable et à faire évoluer progressivement les pratiques en interne.
  • Aligner ces initiatives avec la stratégie d’entreprise: en définissant des objectifs clairs et mesurables, cela participe à faire de ces enjeux un pilier de la stratégie d’entreprise. Par exemple, chez SNCF Connect, nous nous sommes fixé comme objectif un taux de conformité au RGESN d’ici trois ans. Cet engagement permet d’aligner toutes les parties prenantes.
  • Développer des projets pilotes pour tester et améliorer les pratiques
    Enfin, pour concrétiser ces engagements, nous avons mis en place des projets pilotes permettant de tester l’écoconception et l’accessibilité sur des cas concrets. L’apprentissage par l’expérimentation est essentiel pour ajuster les pratiques et identifier les meilleures solutions à adopter à grande échelle. »

 

Chez LittleBig Connection, nous croyons en un numérique plus responsable et accessible à tous. Avec notre communauté Connect For Good, nous accompagnons les entreprises dans l’intégration de prestataires engagés, capables de s’adapter à vos enjeux, quelle que soit votre maturité sur ces sujets. Concrètement, nous vous aidons à trouver et à contractualiser avec le bon expert, pour de la sensibilisation, la construction d’une stratégie, la mesure et la communication des impacts ou encore l’obtention d’un label.